Une langue familiale
La première représentation collective partagée est celle concernant l’usage de l’alsacien. Dans l’esprit de beaucoup de jeunes alsaciens, l’alsacien sert à faire le lien avec les anciennes générations, mais semble moins utile lors de discussions entre jeunes. Ainsi, les jeunes n’utilisent l’alsacien que dans un cadre limité : en famille, avec les grands-parents. Parmi les langues parlées par les dialectophones, les jeunes utilisent globalement le français dans la sphère publique, l’allemand dans la sphère scolaire et inter-frontalière, et l’alsacien trouve sa place dans la sphère intime, ou familiale. Ils ne s’imaginent pas parler alsacien dans la vie courante, à l’université ou même en Allemagne ! Ceci nous révèle des représentations partagées par de nombreux locuteurs dialectophones qui considèrent que l’alsacien fait le pont entre les générations mais qu’il n’a pas d’impact ni d’utilité véritable dans la vie professionnelle. On peut supposer que ce sentiment est dû au fait que l’alsacien est profondément ancré dans un espace donné. En effet, la jeunesse abandonne en quelque sorte le dialecte dès qu’elle quitte la sphère restreinte de la famille, ou du village. Ainsi, l’alsacien est réservé au village et à la famille, mais peine à se faire une place en ville. On peut supposer que ce phénomène est dû au fait que l’alsacien varie en fonction de l’espace (caractéristique propre aux dialectes). En effet, ce n’est pas une langue normée et unifiée et les variantes de vocabulaire ou de prononciation peuvent rendre l’intercompréhension plus difficile.
Une langue de tradition
Une autre représentation collective est celle que l’alsacien est une langue « pour les vieux ». Les dialectophones ne lisent pas ou peu en alsacien. Ceci révèle qu’ils considèrent le dialecte comme une langue uniquement orale. Aux yeux de nombreux alsaciens, le dialecte n'est pas une langue qui permet de s’ouvrir au reste de la France et au monde. On peut dire ici que les alsaciens minorent le rôle de l’alsacien au sein de la société. Ce n’est ni une langue savante, ni une langue littéraire, ni une langue d’échange. C’est une langue familiale, traditionnelle. Ce sentiment que l’alsacien n’est pas la langue des jeunes est accentué par le fait que les dialectophones considèrent que le dialecte « moderne » des jeunes est négatif. Il est perçu comme un dialecte faussé car il introduit beaucoup de mots et de tournures du français. Un « bon dialecte » serait un dialecte sans emprunts au français. Cependant, il apparaît que peu de locuteurs peuvent se vanter de parler un alsacien parfait. On peut aisément avancer que les jeunes générations considèrent l’alsacien comme une langue de tradition, léguée par les anciens mais ne leur appartenant pas réellement.
Une langue identitaire
Néanmoins, dès qu’il faut définir ce qu’est l’alsacien beaucoup de jeunes définissent l’alsacien en fonction de son statut par rapport aux langues nationales : “C’est une langue qui n’a pas autant d’importance que le français”. Mais, lorsqu’on leur demande, selon eux, ce qui fait un alsacien, la majorité des réponses associent le dialecte à l’identité alsacienne : “c’est un Français qui parle le dialecte”. Ceci montre que l’alsacien est perçu comme un plus qui les différencie du reste des Français. La langue devient alors marque de différence et d’identité.
Les jeunes générations placent l’alsacien dans la tradition, en tant que langue locale, non unifiée, liant les générations. Utile pour communiquer avec grand-mère mais délaissée lorsqu’ils quittent le village, car ils n’y trouvent pas de liens avec le monde global et moderne. Dans leurs esprits, l’alsacien est une langue locale sans possibilité d’influence sur la scène internationale. Cependant, la langue est un marqueur culturel et identitaire. L’alsacien leur permet de se distinguer des autres, qu’ils soient allemands ou français. Cette dualité entre la langue traditionnelle, qui ne pèse pas dans une vie « branchée » et la langue garante d’identité est symptomatique de la nouvelle génération. On pourrait parler de langue patrimoine qui n’ose pas encore s’affirmer en tant que langue moderne, amusante et professionnelle. Alors n’oublions pas qu’elsassisch isch bombisch ! (L’alsacien c’est de la bombe !)